Un groupe veut porter en appel une décision sur le travail du sexe

OTTAWA — Un groupe qui a contesté la constitutionnalité des lois criminalisant certains aspects de la prostitution s’engage à porter son combat devant la Cour d’appel de l’Ontario, tandis que d’autres groupes favorables à la criminalisation demandent à Ottawa de mieux protéger les personnes vulnérables dans le commerce du sexe.

«La criminalisation nous prive de nos possibilités», affirme Jenn Clamen, coordinatrice nationale de l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, qui représente 25 organisations de travailleurs du sexe à travers le Canada.

«Ce que les travailleurs du sexe disent, c’est qu’ils ont besoin de plus d’opportunités. Nous n’avons pas besoin de moins d’opportunités», mentionne-t-elle.

La semaine dernière, la Cour supérieure de l’Ontario a rejeté une contestation fondée sur la Charte concernant des infractions criminelles liées à la prostitution introduites par l’ancien gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper en 2014.

L’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, qui a lancé la contestation, avait soutenu que les lois interdisant de payer pour des services sexuels violaient les droits des travailleuses du sexe en favorisant la stigmatisation et en les empêchant d’obtenir un consentement significatif avant de s’engager avec des clients.

Mais le juge Robert Goldstein a estimé que les articles du Code criminel interdisant les communications ou l’arrêt de la circulation dans le but de vendre des services sexuels étaient conformes à la constitution. Ils n’empêchaient pas, toujours d’après sa décision, les travailleuses du sexe de prendre des mesures de sécurité, de faire appel aux services de tiers ne pratiquant pas l’exploitation ou de demander l’aide de la police.

Le jugement stipule que la loi, telle qu’elle est actuellement rédigée, établit un équilibre entre l’interdiction des «aspects les plus exploiteurs du commerce du sexe» et la protection des travailleuses du sexe contre les poursuites judiciaires.

La Women’s Equality Coalition qui représente les groupes de femmes soutenant les lois telles qu’elles existent actuellement, a tenu une conférence de presse sur la Colline du Parlement, jeudi, pour célébrer la décision et demander un meilleur soutien de la part du gouvernement fédéral.

La coalition était intervenue dans cette affaire, arguant que le travail du sexe est une forme de violence des hommes contre les femmes et que la Charte des droits et libertés ne devrait pas être là pour en protéger la pratique.

Hilla Kerner, du Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, l’une des organisations de la coalition, affirme que si les femmes disposent de solutions de rechange et d’une stabilité financière, elles n’auront pas à travailler dans ce secteur.

La coalition souhaite voir davantage de soutien fédéral aux programmes de désintoxication et de rétablissement à long terme, aux logements sûrs et abordables, aux services de garde d’enfants, à l’éducation et à un revenu décent.

Selon Mme Clamen, de l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, il s’agit là de choses raisonnables que tout Canadien souhaiterait, mais ce n’est pas en plaçant les travailleuses du sexe au centre de ce combat que l’on y parviendra.

Elle dit craindre que la façon dont la coalition aborde la question ne stigmatise davantage le travail du sexe et les travailleuses du sexe, au lieu de s’attaquer à la pauvreté et à la violence.

Le groupe de Mme Clamen prévoit de contester la décision de la Cour supérieure de l’Ontario devant la Cour d’appel de la province.

Si le travail du sexe n’est pas décriminalisé, les travailleuses du sexe continueront à subir des effets négatifs, comme perdre un autre emploi si un employeur découvre qu’elles travaillent dans le secteur du sexe, ou se voir retirer leurs enfants.

Les femmes autochtones et racisées sont les plus touchées, selon Mme Clamen.

«Cela fait 22 ans que je milite dans ce domaine, a-t-elle affirmé. Et c’est frustrant parce que les gens ne reconnaissent toujours pas les travailleuses du sexe comme des êtres humains.»

— Avec la collaboration de Tyler Griffin