Deux ministres devront s’expliquer sur le choix pour un monument sur l’Afghanistan

OTTAWA — Le groupe d’architectes choisi par un jury pour construire un monument sur l’intervention canadienne en Afghanistan n’en démord pas: la décision du gouvernement d’attribuer le contrat à un autre groupe en se basant sur un sondage en ligne est «antidémocratique» et «inacceptable».

Le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des Communes a demandé que la ministre du Patrimoine Pascale St-Onge et la ministre des Anciens Combattants Ginette Petitpas Taylor comparaissent comme témoins pour expliquer la décision.

Anciens Combattants Canada a annoncé la commande de 3 millions $ en juin, l’attribuant à une équipe dirigée par l’artiste autochtone Adrian Stimson.

Renée Daoust, porte-parole de l’Équipe Daoust, qui s’est classée première au concours, a déploré un geste «antidémocratique». Elle a souligné que les responsables ne respectent pas leurs propres règles à l’égard des marchés publics. «Pour nous, c’est vraiment inacceptable», a-t-elle affirmé.

L’équipe comprenait la firme Daoust Lestage Lizotte Stecker, l’artiste québécois Luca Fortin et l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour, qui a agi comme conseillère à propos de la mission en Afghanistan.

Mme Daoust a dit qu’ils avaient su qu’ils avaient remporté le concours seulement quelques heures avant la tenue d’une conférence de presse d’Anciens Combattants Canada le 19 juin – et qu’on leur avait alors dit que le gouvernement allait annuler le choix du jury.

Un sondage en ligne

L’explication donnée à l’équipe et aux journalistes lors de la conférence de presse était que les vétérans ayant participé à un sondage anonyme en ligne préféraient l’offre de l’équipe Stimson.

Un peu moins de 10 900 sondages en anglais ont été complétés en janvier et février 2020, selon le gouvernement fédéral. Environ 2800 des personnes interrogées ont déclaré être des anciens combattants, tandis qu’environ 2500 étaient des membres actuels des forces armées et 3000 autres ont participé d’une manière ou d’une autre à la mission en Afghanistan.

Dans une question, les personnes interrogées devaient énumérer trois adjectifs qui «décrivent vos impressions sur chaque design».

Les gens ont également été invités à sélectionner des réponses pré-écrites à une question sur l’expérience du visiteur de chaque conception, et à sélectionner celle qui exprimait le mieux les trois thèmes énoncés du projet.

Il s’agissait des seules questions liées aux conceptions elles-mêmes.

Le jury a examiné les propositions de cinq équipes finalistes et a choisi le gagnant en novembre 2021. Parmi les jurés figuraient le chef de la direction de la Winnipeg Art Gallery, des architectes, un vétéran de la guerre en Afghanistan, une mère de la Croix d’argent, l’ancien ambassadeur du Canada en République islamique d’Afghanistan et le directeur adjoint du Centre Gregg pour l’étude de la guerre et des sociétés de l’Université du Nouveau-Brunswick.

Après avoir été informée de la décision du gouvernement, Mme Daoust s’est fait dire qu’elle avait 10 jours pour déposer une plainte officielle auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur. L’équipe a plutôt écrit au gouvernement fédéral pour lui demander de reconsidérer sa décision.

Jeudi, les porte-parole des ministres Petitpas Taylor et St-Onge ont décliné les demandes d’entrevue.

Dans une déclaration envoyée par courriel, le bureau de Mme Petitpas Taylor a déclaré que le ministère avait déterminé que le monument devait refléter les préférences des personnes interrogées.

«Quand il s’agit d’honorer les sacrifices de nos anciens combattants, nous devons les écouter», a déclaré la porte-parole Mikaela Harrison.

Pétition

L’équipe Daoust a souligné le soutien de plus de 180 personnes, dont des artistes, des architectes, des universitaires et des avocats. Au total, une pétition en ligne demandant au ministère du Patrimoine de reconsidérer la décision selon ses propres critères compte plus de 1500 signatures.

Dans une lettre ouverte publiée le mois dernier, Jean-Pierre Chupin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en architecture, concours et médiations de l’excellence, et Jacques White, architecte et professeur à la retraite de l’Université Laval, affirment: «Quand il s’agit de juger des projets d’art ou d’architecture, un sondage en ligne est un « simulacre de démocratie » qui ne peut remplacer ni un concours de design ni un vrai jury.»

La proposition de conception de l’équipe Stimson comprenait une pièce maîtresse composée de gilets pare-balles et de casques en bronze suspendus à des croix, tandis que l’équipe Daoust présentait un mur du souvenir simplifié destiné à évoquer la vision du monde à travers une burqa, entre autres thèmes.

MM. Chupin et White ont contesté l’idée selon laquelle un monument commémoratif est mieux servi par «des images littérales chargées d’armures, de casques et de boucliers, que par des images épurées évoquant le sacrifice humain par d’intemporels jeux d’ombre et de lumière».

Une note au ministre Rodriguez

Mme Daoust a obtenu une note grâce à une demande d’accès à l’information qui montre que le ministère des Anciens Combattants a demandé au ministère du Patrimoine d’annuler le choix du jury.

La note du 5 février, qu’elle a partagée avec La Presse Canadienne, a été envoyée au ministre de l’époque, Pablo Rodriguez.

Elle indique que la conception de l’équipe Stimson a reçu les commentaires les plus favorables du public, suivie par celle de l’équipe Daoust, et que «déterminer le « choix du public » ou fournir un classement entre les conceptions proposées n’étaient pas des objectifs de l’enquête».

Elle souligne que le ministre du Patrimoine est responsable de la mise en œuvre de la politique sur les monuments commémoratifs nationaux sur les terres fédérales dans la région de la capitale du Canada et qu’Anciens Combattants prendra la direction des communications avec le public une fois la décision approuvée.

M. Rodriguez a donné son approbation le 11 mai. De grandes parties de la note ont été expurgées.

Le monument devrait être construit dans le quartier des plaines LeBreton à Ottawa, en face du Musée canadien de la guerre, près du Monument national de l’Holocauste. Cela a été promis pour la première fois par l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper en 2014.

L’appel à propositions de conception a été ouvert en 2019.

Il faudra peut-être encore deux ou trois ans pour finaliser la conception et la construction, ce qui s’ajouterait à un processus déjà long de plusieurs années.

M. Stimson était un ancien membre des Forces armées, qui s’est joint au Programme des artistes des Forces canadiennes en tant que civil en 2010. Il a passé du temps en Afghanistan et a déclaré en juin qu’il avait intégré cette expérience dans la conception.

Son concept inclura les noms des 158 militaires canadiens tués dans le conflit.

La mission de 13 ans en Afghanistan a impliqué plus de 40 000 membres des Forces armées canadiennes.

On estime que 47 245 civils afghans ont été tués dans le conflit entre 2001 et 2021, ainsi que 66 000 policiers et militaires nationaux et plus de 51 000 talibans et combattants de l’opposition.

Note aux lecteurs: Dans une dépêche transmise jeudi soir sur un monument dédié à l’intervention canadienne en Afghanistan, La Presse Canadienne rapportait erronément que Mme Daoust avait déposé une plainte officielle auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur. Dans les faits, son équipe dit avoir écrit au gouvernement pour lui demander de reconsidérer sa décision.