Trois générations de fossoyeurs à Champlain

CHAMPLAIN. On parle peu du métier de fossoyeur. Pourtant, il est essentielle pour nos communautés. Celle de Champlain n’a pas trop à s’inquiéter puisque le flambeau – ou la pelle! –  se passe de père en fils depuis trois générations. Rencontre avec les Dumas, fossoyeurs de pères en fils.

Steeve Dumas a commencé à effectuer des tâches de fossoyeur très jeune pour aider son père, Gaston.

« Depuis l’âge de 13 ans que j’enterre les morts à Champlain. La première personne que j’ai enterrée, c’est mon grand-père, qui était le bedeau de l’église. Il travaillait avec l’ancien fossoyeur, qui est tombé malade. C’est là que mon père s’est retrouvé avec la job de fossoyeur et j’allais l’aider. On creusait tout à la pelle dans ce temps-là: 7 pieds 4 pouces de long, 34 pouces de large, 6 pieds de creux. J’ai fait ça pendant 18 ans, à bras. »

Steeve a bien failli abandonner le métier quelques années après avoir commencé. « Je devais avoir 16 ou 17 ans. On avait creusé de soir parce que mon père travaillait encore dans la construction de jour. On s’éclairait avec les lumières du camion pour finir un trou parce que les funérailles avaient lieu le lendemain. J’étais dans le trou et en creusant j’ai renfoncé dans deux cercueils. Le bois des cercueils, ça pourrit. Quand je suis remonté je lui ai dit:  »Plus jamais tu vas me faire faire ça. C’est la dernière fois, oublie-moi. » J’ai été un peu traumatisé, mais je suis revenu l’aider. »

À la suite d’une importante blessure, Gaston a dû abandonner son travail dans la construction. En 1988, il a fait l’acquisition de la station d’essence de Champlain qu’il a opérée jusqu’en 2006.

La proximité avec l’église

Steeve a grandi juste à côté de l’église et du cimetière. Il y a passé toute sa vie puisqu’il a racheté la maison familiale. « Tous les voisins autour de ma maison, c’est tout du monde que j’ai enterré. Je ne sais pas combien. On ne fait pas le décompte. »

Sa famille s’est toujours impliquée dans la vie religieuse de Champlain et était proche du curé Denis Clément, bien apprécié dans le village. Steeve se rappelle qu’un jour, il creusait un trou particulièrement difficile. « Quand tu arrives creux, parfois, la terre sur les côtés se détache puis retombe dans le trou. Je venais de finir! J’étais dans le trou et je n’arrêtais pas de sacrer .J’étais fâché. Le curé était en haut et je ne le savais pas. Quand je l’ai vu, il m’a dit:  »C’est pas grave, ça, c’est des sacres de construction. » »

Nancy, la conjointe de Steeve, raconte qu’elle a apprivoisé la réalité de la mort au contact de sa belle-famille. « Toute la famille est tellement à l’aise avec le cimetière. Ceux qui n’ont pas côtoyé ça sont mal à l’aise. Un cimetière, c’est lugubre, ça peut être épeurant, triste. Mais la famille a été élevée avec ça. Pour moi, ç’a dédramatisé la mort beaucoup, beaucoup. »

Steeve abonde dans le même sens, avec une boutade qu’il utilise souvent.

« Il y en a qui me disent:  »Tu n’as pas peur des morts? » et je réponds toujours:  »Un vivant, c’est pas mal plus dangereux qu’un mort. En tout cas, il n’y en a pas un qui est venu me chatouiller ou me réveiller! » »

La machinerie à la rescousse

Une famille qui compte trois générations de fossoyeurs a pu observer de près l’évolution des méthodes de travail. Après avoir tout creusé à la pelle jusqu’en 2005, Steeve a eu recours à la machinerie.

« Avec le temps, j’ai acheté des pelles mécaniques, ç’a été beaucoup plus facile. Mais quand j’ai amené la première pelle mécanique au cimetière je me suis fait dire que j’allais défoncer des cercueils et briser le terrain. Alors j’ai répondu qu’ils n’avaient qu’à trouver quelqu’un d’autre pour faire les trous à la pelle. Ç’a commencé à rentrer dans la tête du monde. »

Cette technique plus rapide se révèle aussi beaucoup moins éreintante. « Creuser un trou pour un cercueil, à bras, ça pouvait prendre, selon les conditions météo, de quatre à cinq heures. Sans arrêt. C’est quelque chose, hein? Quand tu commences, c’est facile. Quand tu arrives dans le fond du trou, il faut que tu prennes ta pelle à grand manche et que tu tires la terre sur ton tas, en haut. »

Le fils de Steeve, qui prend la relève de son père, n’a jamais creusé une tombe à la pelle. Aussi, il enterre plus souvent des urnes, les cercueils continuant de perdre en popularité.

« Ça peut prendre de 15 à 45 minutes, estime Frédéric, dépendamment s’il y a beaucoup d’arbres et de racines. »

Il est plutôt rare que les fossoyeurs aient à creuser l’hiver, mais ça peut se produire dans certaines circonstances.

« Des familles avec des gens de l’extérieur, ils viennent et ils font leur deuil. Ils ne veulent pas revenir pour mettre le corps en terre au mois de mai, explique Steeve. Des familles demandaient que le trou se fasse quand même. Le curé avait décidé d’acheter un petit jack drill au gaz. On avait réussi à casser trois pieds de gelée avec ça, mais c’était de l’ouvrage. Il faut faire déneiger, c’est plus cher. Les familles payent s’ils le veulent absolument. »

Un contrat particulier a été exécuté par Steeve en 2016 lorsque les frères de Saint-Gabriel ont décidé de déménager les 54 dépouilles du cimetière de leur ancienne école jusqu’au cimetière Sainte-Madeleine. Des autorisations judiciaires étaient requises pour effectuer une aussi délicate opération.

« Un thanatologue était là pour vérifier tous les ossements, les identifier, les transporter. On prenait une planche dorsale, comme dans les ambulances. On avait d’autres cercueils neufs. J’ai vu des corps que j’avais enterrés. »

Touchés de près

Inévitablement, les fossoyeurs sont un jour confrontés à s’occuper de la dépouille d’un de leurs proches. C’est arrivé à Frédéric. « J’ai enterré un de mes amis, de mon âge. Ce n’est pas facile. En même temps, je le vois comme un honneur. »

La famille Dumas a été touchée par le décès tragique d’Amélie, la nièce de Steeve. Elle et son conjoint, tous deux âgés d’à peine 21 ans, ont perdu la vie dans un accident d’automobile.

« Avant la cérémonie, j’étais avec la maman d’Amélie, se rappelle Nancy. Je lui ai dit:  »Ils sont en train de creuser au cimetière. On devrait y aller et tu devrais mettre la main à la pâte. » Elle m’a regardé avec un air décidé. Elle avait de la peine mais elle l’a fait. Comme disait Fred, c’est comme un honneur, un dernier hommage. Toute la famille a participé à enterrer les urnes après la cérémonie. »

La relève est assurée

Le fossoyeur de troisième génération, Frédéric, se voit exercer ce travail encore longtemps. « Tant que j’ai le temps, tant que je suis capable. Ce n’est pas quelque chose qui prend extrêmement de mon temps, non plus. »

Peut-on penser que ses enfants pourraient lui succéder un jour?

« Je viens d’avoir une fille. On verra. Si elle est grande et forte comme son père! »