Pierre Ny St-Amand est déclaré non criminellement responsable
LAVAL — Pierre Ny St-Amand, l’homme qui a foncé avec un autobus dans une garderie de Laval en 2023, tuant deux enfants et en blessant six autres, a été déclaré non criminellement responsable.
Mardi, le juge Éric Downs, de la Cour supérieure, a ainsi accepté la suggestion commune de la défense et de la Couronne et a conclu que Ny St-Amand était incapable de discerner le bien du mal lorsqu’il a percuté la garderie, le 8 février 2023.
Les psychiatres de la Couronne et de la défense ont tous deux soutenu qu’il était probable que Ny St-Amand souffrait de psychose lorsqu’il a foncé avec l’autobus dans la garderie, tuant Jacob Gauthier, quatre ans, et une fillette de cinq ans, Maëva, dont le nom de famille est couvert par une ordonnance de non-publication à la demande de ses parents.
Un psychiatre a témoigné que l’homme de 53 ans souffrait d’un trouble de stress post-traumatique non traité depuis son enfance difficile au Cambodge, un pays déchiré par la guerre, et qu’il aurait pu cibler la garderie pour «tuer son propre passé».
Ny St-Amand avait été accusé de deux chefs de meurtre au deuxième degré, ainsi que d’agression armée et de voies de fait causant des lésions corporelles à l’encontre de six autres enfants blessés.
«Aujourd’hui, l’accusé n’est pas acquitté, il n’est pas non plus libéré. Il est reconnu non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux», a écrit le juge Downs dans une décision de 41 pages rendue au palais de justice de Laval.
«Ce verdict est lourd de sens et de conséquences. Il est reconnu que l’accusé a causé les gestes reprochés. Il est reconnu qu’au moment des gestes posés, l’accusé était atteint de troubles mentaux, le rendant non criminellement responsable, au sens du droit criminel», peut-on également lire dans le document.
Le tribunal a ordonné que Ny St-Amand demeure détenu dans un hôpital psychiatrique de Montréal. Le juge entendra les déclarations des victimes lors d’une audience jeudi.
«La base du droit criminel, c’est de punir des gens qui sont moralement coupables, donc des gens qui veulent la finalité de leurs actes. C’est un peu le but du régime de non-responsabilité criminelle, c’est qu’on n’emprisonne pas dans une prison ordinaire des gens qui n’ont pas cette culpabilité morale», a commenté le procureur de la Couronne Simon Blais dans les couloirs du Palais de justice de Laval.
«L’incompréhension face à l’inexplicable demeurera»
À l’extérieur du tribunal, Sébastien Courtois, père d’une des jeunes victimes ayant survécu, a confié avoir eu du mal à entendre le jugement, même si les parents étaient au courant.
«On nous promet possiblement un procès avec une sanction exemplaire (puis), petit à petit, on excuse l’inexcusable, a déploré M. Courtois. Sur toute l’audience, nous n’avons jamais entendu la notion de ‘culpabilité’, nous avons juste entendu la notion de ‘non-responsabilité’.»
Dans sa décision, le juge de la Cour supérieure a déclaré que la question de savoir pourquoi Ny St-Amand a percuté la garderie avec l’autobus reste sans réponse. «Malheureusement, l’incompréhension face à l’inexplicable demeurera.»
«Il est indéniable que l’autobus conduit par l’accusé a embouti la garderie et qu’il ne s’agissait pas d’un geste accidentel», a ajouté le magistrat.
Toutefois, concernant l’état d’esprit de l’accusé, le tribunal est convaincu que, dans ce cas, il souffrait de troubles mentaux.
Selon les documents déposés au tribunal, Ny St-Amand est né au Cambodge en 1972, peu avant l’instauration d’un régime brutal par les Khmers rouges, responsable de la mort de 1,7 million de personnes. Ses deux parents sont morts pendant le conflit et il ignore son véritable nom de famille ou encore sa date de naissance. Il a été transféré dans différents camps de réfugiés sous la tutelle d’un cousin, également décédé. Il a également été agressé physiquement par la femme de ce dernier, qui l’a pendu par les pieds et battu. En 1982, il a été envoyé au Canada par une agence humanitaire et adopté par une famille québécoise.
Le Dr Sylvain Faucher, expert de la poursuite, a déclaré au tribunal que le passé de Ny St-Amand et l’absence de relations personnelles étroites, même avec sa conjointe et sa famille adoptive, le rendaient mal préparé à gérer les facteurs de stress. Ces facteurs de stress comprenaient un voyage familial coûteux prévu à Disney World et son mariage imminent avec sa compagne de longue date, ce qui l’a obligé à examiner son passé pour prouver son statut.
«Toute la défense appuie sur le fait que c’est quelqu’un qui a vécu énormément de traumas dans sa vie et puis on a beaucoup insisté sur le fait des traumas zéro et cinq ans. (…) La défense, elle est toute assise là-dessus», a déclaré Mélanie Goulet, mère d’un des survivants, aux journalistes à l’extérieur de la salle d’audience. «Mais c’est paradoxal, car, nos enfants, leur trauma a été dans le zéro-cinq ans. Qu’est-ce que ça veut dire pour leur avenir?»
Requête pour un statut de délinquant à haut risque
La procureure Karine Dalphond a dit comprendre que le processus soit difficile pour les parents. «Toutes nos pensées vont à ces familles-là, a-t-elle soutenu. Mais tout ce qu’on peut faire, on va le faire. C’est pourquoi on a décidé d’aller vers cette requête d' »accusé à haut risque ». C’est vraiment pour cette situation-là, pour la sécurité du public, pour protéger tout le monde du mieux qu’il peut avec les pouvoirs qu’ on a au niveau du monde.»
À la suite de la décision du juge, la Couronne a officiellement déposé une requête pour que Ny St-Amand soit déclaré «délinquant à haut risque». Une telle désignation érigerait «une espèce de rempart», a détaillé Me Blais. Le procureur a rappelé qu’ainsi, «toute décision de la commission d’examen des troubles mentaux devrait être confirmée par la Cour supérieure. Donc, ça donne un second regard à toute décision qui permettrait à (Ny St-Amand) de ne pas être incarcéré dans un institut psychiatrique finalement».
Le procureur Blais a également insisté sur le fait qu’il s’agit d’un «régime d’exception qui est prévu depuis environ 2014-2015 justement pour des cas, comme celui de M. St-Amand, où on a des crimes vraiment très graves qui sont commis par des personnes atteintes de troubles mentaux».
Véronique Talbot et Julien Lespérance-Hudon, avocats de Ny St-Amand, ont indiqué leur intention de contester la requête visant à faire qualifier leur client de délinquant à haut risque.