Des sans-papiers passent une nuit devant les bureaux du fédéral à Montréal

MONTRÉAL — Passer toute une nuit dans le froid et la neige directement devant le Complexe Guy-Favreau, à Montréal, voilà ce que des organismes qui réclament un statut régularisé pour tous les sans-papiers du Canada ont décidé de faire cette fin de semaine pour presser le gouvernement fédéral à agir rapidement dans ce dossier.

Menés par Solidarité sans frontières, ces groupes ont choisi de braver les intempéries de cette nuit particulièrement froide de mars pour illustrer à quel point certaines personnes sans statut doivent vivre dans des situations difficiles au quotidien.

De peur d’être expulsées du pays, ces personnes se tiennent souvent loin des services essentiels, comme les forces policières et les systèmes de santé, ce qui les place dans des situations potentiellement dangereuses, a rappelé Aboubacar Kane, qui est l’un des porte-parole de Solidarité sans frontières.

«Les migrants, ils sont là, ils souffrent, donc le moyen de vraiment rétablir l’équilibre et de leur accorder une vie vraiment décente et adéquate est de mettre en place un programme de régularisation vraiment inclusif», a souligné M. Kane dimanche matin, alors qu’il venait de passer toute la nuit devant le Complexe Guy-Favreau.

Le gouvernement fédéral planche bien sur un tel programme. Le premier ministre Justin Trudeau avait en effet demandé au ministre de l’Immigration, Sean Fraser, d’explorer des «moyens de régulariser le statut des travailleurs sans papiers qui contribuent aux communautés canadiennes» à la suite des élections fédérales de 2021.

Mais plus d’un an plus tard, ce programme se fait toujours attendre, ce qui pousse des organismes, comme Solidarité sans frontières, à multiplier les gestes de mobilisation pour se faire entendre.

«En novembre, on a rencontré le ministre de l’Immigration à Ottawa. Le gouvernement a fait des promesses, il a fait fuiter de l’information et il travaille sur un programme. Dans dix semaines, les députés seront en vacances d’été, donc nous sommes ici pour leur dire que chaque jour, il y a une vie en danger. Il est temps de sortir ce programme», a lancé Hady Anne, un autre porte-parole de Solidarité sans frontières.

Conditions difficiles

Lors d’un point de presse tenu dimanche matin, à la suite de leur «Nuit des sans-papiers», différents groupes ont témoigné du fait que la vie d’une personne sans statut légal peut être très difficile — ce qu’ils jugent déplorable en 2023.

«Nous considérons souvent qu’avoir un toit au-dessus de la tête est un besoin fondamental et essentiel, mais pour beaucoup de nos amis et voisins sans papiers, l’accès à un logement décent est souvent hors de portée», a notamment dénoncé la coordonnatrice au Comité d’action de Parc-Extension, Amy Darwish.

«De nombreux locataires sans papiers font face à de la discrimination dans leur recherche de logement et sont désavantagés parce qu’ils n’ont pas assez de preuves d’identité. Donc pour eux, souvent, le droit au logement existe seulement en théorie.»

De son côté, la directrice générale de l’organisme Stella, Sandra Wesley, a noté que les femmes sans papiers sont davantage exposées à des situations de violence.

«Les agresseurs, les personnes violentes et les exploiteurs savent qu’une femme sans statut est une femme vulnérable qu’ils peuvent choisir comme victime en sachant qu’ils vont probablement s’en tirer», a-t-elle mentionné.

Aboubacar Kane, qui travaille aussi pour Médecins du monde, est également témoin «tous les jours» de situations où des personnes sans statut se présentent à la clinique de l’organisme pour éviter le système de santé.

«Le plus souvent, ce sont des femmes enceintes dont l’assurance ne couvre pas certaines maladies ou situations. Il n’y a personne pour les aider, donc on fait le maximum avec les moyens qu’on a», a-t-il expliqué, visiblement ému par de telles histoires.

Mobilisation continue

Il est difficile de dire combien de personnes vivent au Canada sans statut. Selon ce que rapportait l’an dernier le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes, les estimations varient entre 20 000 et 500 000 personnes. Les organismes du milieu estiment ce nombre à 500 000 personnes.

Dans la foulée du débat public et politique sur le chemin Roxham, ce point d’entrée non officiel situé à Saint-Bernard-de-Lacolle, en Montérégie, les organismes ont rappelé que les migrants ne représentent pas une «crise» en soi, et qu’ils peuvent au contraire avoir un impact positif sur certains besoins dans la société, notamment en ce qui a trait à la pénurie de main-d’œuvre.

Pour faire entendre leur point de vue, ces organismes n’en étaient d’ailleurs pas à leur première mobilisation. L’été dernier, une marche jusqu’à Ottawa avait été organisée, tandis qu’à l’automne, ils avaient fait le tour des bureaux des députés fédéraux de la région montréalaise à bord d’une caravane.

Mais tant que le programme fédéral ne sera pas dévoilé, Hady Anne, de Solidarité sans frontières, n’a pas l’intention d’abandonner.

«Dans la vie, il faut être l’esclave d’une cause, une cause noble, et cette cause, elle est extrêmement noble. Nous y croyons dur comme fer et nous sommes prêts à braver n’importe quoi», a-t-il conclu avant d’aller se réchauffer.