Des écologistes dénoncent la tenue de jeux d’hiver dans le désert

MONTRÉAL — La décision du Conseil olympique d’Asie d’accorder à l’Arabie saoudite l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver de 2029 soulève l’ire d’écologistes qui dénoncent l’empreinte carbone que causera l’organisation de ce type d’événement en plein désert.

Le chercheur Paquito Bernard, qui s’intéresse au lien entre le sport et les changements climatiques, a d’abord cru à un canular lorsqu’il a lu que des jeux d’hiver seraient organisés dans un désert de l’Arabie saoudite.

«Quand j’ai vu les premiers articles de presse sortir, je pensais que c’était une blague sur les réseaux sociaux, un peu comme les articles parodiques, mais en fait, non, j’étais totalement effaré de constater que c’était vraiment un vrai projet», a indiqué le professeur au département de l’activité physique de l’UQAM.

«Ça démontre que des institutions comme le Comité olympique d’Asie ne prennent pas en compte les enjeux de changement climatique dans le cahier des charges d’attribution des événements sportifs. Ils ne se rendent pas compte que, en donnant le feu vert à ce type de projet, ils vont exacerber le changement climatique via une empreinte carbone énorme», a dénoncé M. Bernard en soulignant la quantité d’énergie que nécessitera la construction d’installations sportives hivernales dans une ville qui n’existe pas.

Car la ville de Neom, qui s’est vu attribuer les jeux, n’est pour l’instant qu’un projet, une vision.

La mégapole futuriste imaginée par le prince saoudien Mohammed bin Salman sera construite au coût de 500 milliards $ US autour d’un centre de ski appelé Trojena, qui devrait être ouvert toute l’année d’ici 2026.

Le hockey sur glace, le patinage artistique, la planche à neige, le ski acrobatique figurent au nombre de la quinzaine de compétitions sportives qui devraient avoir lieu lors des jeux de 2029.

Désaliner l’eau de la mer Rouge 

Pour fabriquer de la neige et de la glace, le royaume pétrolier aura besoin de beaucoup d’eau, dans un endroit où il y en a très peu, une situation que dénonce Kenzie Azmi, une biologiste qui travaille pour Greenpeace au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

«C’est vraiment choquant, le projet de dessalement va consommer énormément d’énergie, en plus de l’énergie qui sera nécessaire pour pomper l’eau en haut d’une montage de 1500 mètres», a indiqué Mme  Azmi.

Le «projet de dessalement» fait référence à un processus que Ryad compte mettre en œuvre pour obtenir de l’eau douce à partir de l’eau salée de la mer Rouge et ainsi alimenter la future ville. L’énergie utilisée serait «100 % renouvelable» et proviendrait d’éoliennes, selon un communiqué de presse publié récemment par l’agence de presse officielle de l’Arabie saoudite.

«Même si elle est alimentée d’énergie renouvelable, c’est un gaspillage d’énergie, ce n’est pas respectueux des besoins réels du peuple», a indiqué Kenzie Azmi à La Presse Canadienne.

«La sécheresse et la désertification sont des problèmes dans cette région, c’est un endroit très aride et l’eau devient une ressource très rare», a ajouté la biologiste dont le bureau est basé au Liban.

Elle dénonce également qu’en changeant tout un écosystème naturel, «cela peut avoir des répercussions inattendues sur les écosystèmes avoisinants».

Daniel Scott, professeur de géographie et de gestion de l’environnement à l’Université de Waterloo, est l’auteur principal d’une étude qui se penche sur la façon dont les changements climatiques affectent les disciplines des Jeux olympiques.

Il fait remarquer que certaines montagnes de la région de la future ville de Néom reçoivent une petite quantité de neige durant l’hiver.

«Nous devons prendre un pas de recul et nous intéresser à la géographie de cette région. On constate alors que certains secteurs montagneux reçoivent de la neige naturelle, près d’un centimètre par mois, mais c’est tout de même un niveau d’aridité jamais atteint pour des jeux d’hiver», a nuancé le chercheur.

Le sport est «déconnecté» de la lutte au changement climatique

Yann Roche, titulaire par intérim de la Chaire Raoul Dandurand, constate «qu’il y a une déconnexion entre le monde du sport et la lutte au changement climatique», que les événements sportifs et le monde du sport professionnel en général semblent «hermétiques» aux efforts de réduction de notre empreinte carbone.

Le spécialiste de la géopolitique du sport a ajouté qu’il y a «une tendance, si on fait le parallèle avec la Coupe du monde de soccer au Qatar ou encore avec les Jeux d’hiver de Beijing, à organiser des événements dans des lieux où les conditions climatiques ne sont pas du tout propices».

Selon lui, «les pétrodollars» et «les pressions politiques» ne sont pas étrangers à cette situation.

Le Comité international olympique a promis en 2021 qu’il allait réduire de 30 % ses émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre d’ici 2024 et de 50 % d’ici 2030.

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, le service de relations avec les médias du comité a souligné que le CIO veut «clairement privilégier l’utilisation de sites existants» pour les prochains jeux, afin notamment de diminuer les gaz à effet de serre causés par la création de nouvelles infrastructures qui, comme c’est souvent le cas, seront peu utilisées après les jeux. 

«Si ceux-ci n’existent pas, l’utilisation de sites temporaires est encouragée», peut-on lire dans le courriel du CIO. Cet engagement semble aller à l’encontre de la construction de nouvelles installations en plein désert.

Toutefois, même si le Conseil olympique d’Asie, qui regroupe 45 comités nationaux olympiques, est affilié au CIO, il demeure indépendant et fait ses propres choix.

«Le CIO n’a pas été consulté sur la décision de l’OCA concernant les Jeux asiatiques d’hiver et n’a pas été impliqué dans le processus décisionnel», a fait valoir le Comité international olympique à La Presse Canadienne.