De possibles dépassements de coûts pour SAAQclic évoqués dès 2020

MONTRÉAL — Des administrateurs de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), dont la présidente du conseil d’administration de l’époque, auraient été mis au courant dès octobre 2020 de la probabilité que le déploiement de la plateforme SAAQclic connaisse des dépassements de coûts en 2022.

C’est ce que laissent entendre des documents soumis, mardi, à la commission Gallant, qui enquête sur les ratés du virage numérique de la société d’État.

L’un d’eux est une présentation faite à une rencontre conjointe en juin 2022, comprenant des membres du comité sur les technologies de l’information et du comité actif-passif et vérification du C.A. de la SAAQ.

La présentation mentionne que ceux-ci ont été informés en octobre 2020 qu’il était «probable que le contrat doive être augmenté en 2022» pour finaliser la phase 2 du projet Carrefour des services d’affaires (CASA). La même information avait été transmise au conseil d’administration en décembre de la même année.

En 2020, Lorna Telfer était présidente du C.A. de la SAAQ. Elle a quitté ses fonctions l’année suivante après un mandat de cinq ans. Mme Telfer a dit ignorer si on l’avait prévenue à l’époque de possibles dépenses supplémentaires, lorsqu’elle a été questionnée à ce sujet mardi à la commission Gallant.

«Je ne me souviens pas que quelqu’un ait dit ça. C’est bien possible», a déclaré Mme Telfer.

Or, le procès-verbal de la rencontre d’octobre 2020, exhibé ensuite par le procureur de la commission, Alexandre Thériault-Marois, confirme la présence de Mme Telfer. Le document fait aussi mention que des informations sur l’évolution financière du projet CASA ont été fournies durant cette réunion.

«Je ne dis pas qu’on n’en avait pas reçu. Je dis que je ne me souviens pas», a rétorqué Mme Telfer.

Le procès-verbal ne mentionne toutefois pas explicitement que des coûts additionnels seraient requis en 2022, a précisé Me Thériault-Marois. L’avocate représentante la SAAQ a confirmé l’existence d’un document contenant la présentation offerte lors de cette rencontre et évoquant de possibles sommes additionnelles pour SAAQclic.

Mais la société d’État refuse d’en dévoiler le contenu. Elle évoque un aspect juridique lié aux firmes responsables du développement de CASA qui empêche sa divulgation.

Plus tôt au cours de son témoignage, Mme Telfer a déclaré que, si elle avait su pour les difficultés du projet, qui ont été mises en lumière dans les médias, elle aurait «certainement demandé une rencontre» avec le ministre des Transports.

«Je n’avais pas peur du tout des ministres», a-t-elle affirmé.

Elle a dit n’avoir jamais demandé une réunion formelle avec le ministre des Transports de 2018 à 2022, François Bonnardel. Elle se rappelle de l’avoir possiblement croisé une seule fois lors d’une réunion du C.A. où il a serré des mains.

Le déploiement raté de SAAQclic a provoqué en février 2023 des files monstres devant les succursales. Le projet de modernisation technologique de la SAAQ pourrait coûter minimalement plus de 1,1 milliard d’ici 2027, soit 500 millions $ de plus que prévu, selon le Vérificateur général (VG).

«La bonne personne»

En matinée, une autre ancienne membre du conseil d’administration de la SAAQ a dit demeurer convaincue que Karl Malenfant était «la bonne personne» pour diriger le département des technologies de l’information (TI) de l’organisation.

Anne-Marie Croteau était la présidente du comité des TI du C.A. de la SAAQ lors de l’embauche de M. Malenfant. Elle l’a décrit comme le «porteur de ballon» du projet de modernisation des systèmes informatiques de la société d’État, dont la création de la plateforme SAAQclic.

Mme Croteau n’a pas pris part au processus de sélection, mais s’est souvenue d’avoir participé à la dernière entrevue visant à confirmer l’embauche de M. Malenfant au poste de vice-président responsable des TI de la SAAQ en 2013.

Ne connaissant pas M. Malenfant avant de le rencontrer, elle a tout de même été charmée par le parcours de l’homme. Il avait notamment passé par Hydro-Québec, où il avait mené un projet informatique similaire à ce que souhaitait entreprendre la SAAQ.

«Nous, on était convaincus, et je le suis encore, qu’on avait la bonne personne», a dit celle qui est professeure titulaire spécialisée en gestion des TI à l’Université Concordia, ainsi que doyenne de l’École de gestion John-Molson.

«Le fait que ç’a été difficile à Hydro-Québec (l’implantation du projet informatique), on se disait que c’est peut-être une façon d’apprendre des expériences passées. Et c’était pour nous même un peu une garantie qu’il allait faire attention aux anciennes erreurs s’il y en a eu», a-t-elle ajouté.

Au moment de quitter le C.A. de la SAAQ en 2019, après 10 ans d’implication, Mme Croteau était persuadée que le virage numérique de la société d’État était sur la bonne voie.

«Je quittais avec beaucoup de fierté. J’étais convaincue que c’était gagnant cette affaire-là. (…) Quand cette histoire-là est sortie en février 2023, j’étais atterrée. Je ne comprenais pas ce qui avait pu se passer, sinon le problème avec l’authentification gouvernementale», a-t-elle témoigné.

Mme Croteau était membre du C.A. lors du déploiement en 2018 de la première phase du projet informatique de la SAAQ qui impliquait les finances et les ressources humaines de la société.

Selon elle, il s’agissait d’«une bonne livraison». «Quand j’ai quitté, j’étais sous l’impression que c’était sur les rails. Ça allait bien», a relaté Mme Croteau.

«Une muraille de Chine»

Elle a indiqué que «très peu de gens savaient» ce qui se passait sur le processus d’appel d’offres et de l’attribution des contrats «pour éviter toute influence». «Il y a eu une muraille de Chine» entre les administrateurs et la permanence de la SAAQ durant cet exercice, a dit la spécialiste des TI.

Les administrateurs recevaient tout de même certaines informations sur les étapes franchies, notamment par l’entremise d’un auditeur externe.

En matière de reddition de compte, les administrateurs n’hésitaient pas à questionner M. Malenfant et ce dernier revenait rapidement avec des réponses, a affirmé Mme Croteau. Elle ajoute que M. Malenfant leur offrait un suivi sur l’avancement du projet et les budgets à chaque rencontre.

Mme Croteau a été mise au courant des 800 000 heures de temps supplémentaires qui seraient finalement nécessaires pour le projet. Elle en a alors compris que l’intégrateur avait possiblement «moins bien compris» ou sous-estimé les besoins de la SAAQ. Mme Croteau a dit que d’autres administrateurs et elle ont été assurés «de façon prudente» par le fait qu’il était rapporté que la rentabilité du projet n’était pas à risque.

Les travaux de la commission Gallant doivent se poursuivre mercredi matin.