Budget Girard: beaucoup de groupes restent sur leur faim

QUÉBEC — On aurait pu s’attendre à ce que les employeurs se réjouissent des baisses d’impôt confirmées dans le budget du ministre Eric Girard, mais leur position face au budget est plus nuancée.

«Les particuliers sortent gagnants ; les entreprises un petit peu moins», juge Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Comme regroupement du milieu des affaires, les baisses d’impôt, «on n’est pas contre», mais il aime moins la façon d’y parvenir.

«Diminuer les versements au Fonds des générations, pour nous c’est une erreur, parce que c’est un outil apolitique à long terme pour financer le remboursement de la dette. Là, malheureusement, on ouvre une brèche politique à vouloir aller piger dans cet outil-là qu’on n’avait pas touché depuis 15 ans», déplore M. Milliard.

Le son de cloche est similaire au Conseil du patronat du Québec. «Le budget répond à plusieurs préoccupations économiques, sociales et environnementales. Il y a de bonnes mesures. Il y a beaucoup d’investissements dans l’éducation, pour les jeunes, pour la santé», souligne d’abord Norma Kozhaya, économiste en chef au Conseil du patronat du Québec.

Elle note «des mesures intéressantes» pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre, notamment celles qui touchent les modifications au Régime des rentes du Québec.

Toutefois, elle fronce les sourcils devant la voie choisie par le ministre des Finances pour parvenir à baisser les impôts. «C’est un peu notre bémol. On questionne davantage le moyen utilisé, qui est celui des versements plus faibles au Fonds des générations», déplore Mme Kozhaya.

Les Manufacturiers et exportateurs du Québec, de leur côté, sont déçus. C’est «un budget timide, sans mesure phare», laisse tomber la présidente-directrice générale Véronique Proulx.

Ses membres manufacturiers ont deux priorités: la pénurie de main-d’œuvre et la hausse de la productivité. Il y a bel et bien des mesures pour alléger le manque de travailleurs, comme la formation de courte durée, la reconnaissance des diplômes des gens qui viennent de l’extérieur et la francisation en entreprise, mais «c’est saupoudré» et, de ce fait, ça aura peu d’effets, craint-elle.

Pour ce qui est de la hausse de productivité, les manufacturiers auraient eu besoin d’un solide coup de pouce pour accélérer l’automatisation et la robotisation. Avec ce budget, «ils ne sont pas en train de mettre le pied sur l’accélérateur pour inciter les entreprises à investir», critique Mme Proulx.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), elle, se réjouit des baisses d’impôt, de même que des mesures pour alléger la pénurie de main-d’œuvre et de la révision de certaines règles à la Régie des rentes.

Mais son vice-président pour le Québec, François Vincent, aurait souhaité une diminution du fardeau fiscal des petites et moyennes entreprises.

Les syndicats déçus

Les organisations syndicales aussi sont déçues des choix budgétaires du gouvernement Legault.

«Le titre du budget, c’est un Québec engagé, mais on ne sait pas en quoi c’est engagé. Le gouvernement a un œil sur la dette, sur les impôts, mais on dirait qu’il n’y a pas de direction générale pour le Québec. On vit des problèmes de transition économique, des problèmes de main-d’œuvre, des problèmes dans les services publics, dans les investissements dans les infrastructures, mais on ne sent pas la vision», critique Caroline Senneville, présidente de la CSN.

Pour ce qui est du Régime des rentes du Québec, la CSN se réjouit de voir les mesures pour lesquelles elle avait plaidé lors des consultations particulières. «Ce sont de petites mesures qui sont mises en place: la cotisation facultative à 65 ans, pouvoir reporter l’âge où on demande la RRQ de 70 à 72 ans, c’était toutes mes mesures sur lesquelles on s’était prononcé favorablement.» Et la centrale syndicale fait partie de ceux qui avaient demandé de ne pas hausser l’âge minimal d’admissibilité à la retraite de 60 à 62 ans — et c’est la voie suivie dans le budget Girard.

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) estime que ces «baisses d’impôt irresponsables (…) profitent aux plus riches», même si elles font «miroiter une économie intéressante».

«Ce budget irresponsable va priver la population du Québec de plus de 9 milliards de dollars sur 6 ans dans les services publics. La CAQ fait un choix purement idéologique ; on préfère des mesures populistes et peu structurantes plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes dans un contexte où les besoins sont criants», explique la présidente de la FTQ, Magali Picard.

«Est-il nécessaire de rappeler que le gouvernement réclamait récemment de l’argent du fédéral pour mieux financer le système de santé qui est au point de rupture? Tout d’un coup, on aurait maintenant les moyens de baisser les impôts. C’est complètement incohérent!» ajoute-t-elle.

Mme Picard déplore le retour à l’austérité, qui confirme selon elle «que le gouvernement n’a pas du tout l’intention de bonifier son offre salariale famélique de 9 % sur 5 ans pour le personnel du secteur public».

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) dénonce de son côté «un budget plombé par les baisses d’impôt». Le regroupement syndical note «quelques mesures intéressantes, (mais) les sommes investies demeurent nettement insuffisantes pour avoir de réels effets structurants».

«Dans un contexte de finances publiques solides, il aurait fallu miser sur l’avenir et investir davantage dans les réseaux publics au lieu d’adopter une mesure à courte vue comme les baisses d’impôt», souligne le président de la CSQ, Éric Gingras.

L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux se désole aussi des baisses d’impôt. «Les baisses d’impôt, c’est une façon avec laquelle l’État s’empêche d’investir davantage dans les services publics», déplore Émilie Charbonneau, deuxième vice-présidente de l’APTS.

Toujours en santé, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec-FIQ juge le budget nettement insuffisant pour répondre aux besoins du réseau de la santé et des professionnelles en soins qui y travaillent. «Le ministre Dubé parle lui-même de l’importance de reconstruire le réseau et que les enjeux sont grands, d’où son Plan Santé annoncé. La population n’a même plus accès à un système de santé auquel elle est en droit de s’attendre. Malgré tout, le gouvernement opte pour un choix politique populiste», déclare Julie Bouchard, présidente de la FIQ.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) constate que l’éducation n’est pas la priorité du gouvernement Legault. «Depuis 2019, le gouvernement de François Legault paraît bien en investissant 6 % par année en éducation, mais il ne fait que réparer les pots cassés», se désole Mélanie Hubert, présidente de la FAE.

Le logement: pas réglé

Chez les défenseurs des locataires, c’est la grande déception. Le budget contient «de très, très mauvaises nouvelles pour les ménages locataires qui sont complètement désespérés partout au Québec», résume en entrevue Véronique Laflamme, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

«Il y a 1500 logements annoncés dans le cadre du nouveau programme d’habitation abordable, mais ce sont des logements abordables dont on ne sait pas combien pourraient être sociaux hors marché privé ni combien seront destinés à des ménages locataires à faible revenu, qui sont 40 000 sur une liste d’attente actuellement au Québec», critique Mme Laflamme.

L’Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ) abonde dans le même sens. «Il n’y a aucun investissement pour de nouvelles unités dans un programme entièrement consacré à l’habitation communautaire et sociale. Seulement 1 500 unités sont prévues dans le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ), dont 500 qui sont réservées au privé», souligne Éric Cimon, directeur général de l’AGRTQ.

De son côté, l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) rappelle qu’elle avait «vivement recommandé, au cours des derniers mois, de mettre en place des mesures financières, fiscales et réglementaires visant à accélérer la construction résidentielle dans un contexte de déficit de logements et de crise d’abordabilité», ce qui n’est pas proposé dans le budget.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, déplore elle aussi que «le gouvernement du Québec fait le choix d’ignorer la crise du logement qui frappe de plein fouet Montréal et les villes du Québec».

«En ignorant la crise du logement, le gouvernement précarise encore davantage l’abordabilité de la métropole et le portefeuille de milliers de familles», écrit-elle sur Twitter.

Mme Plante affirme par ailleurs qu’«avec les sommes de 400 M$ en transport collectif dans son budget, le gouvernement du Québec colmate les besoins de 2023 des sociétés de transport collectif».

«Malgré ce geste, la nécessité de revoir le financement du transport collectif et d’offrir de la prévisibilité sur 5 ans demeure entière et urgente», ajoute-t-elle.

L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) dit que cette aide de près de 340 M$ pour 2023 est bienvenue, rappelant que «le transport collectif n’est pas une dépense, mais un investissement» et que «les coûts sociaux qu’il génère sont près de 9 fois moins élevés que ceux reliés aux dépenses liées à l’utilisation de l’automobile».

L’Union des municipalités du Québec (UMQ) trouve que le budget est en deçà des attentes, car il ne contient aucune mesure concrète pour répondre à l’inflation qui affecte les municipalités.

«Les municipalités sont plus que jamais sous pression, puisqu’elles font face à une augmentation importante de leurs responsabilités, tout en devant assurer des services hautement essentiels à leurs citoyennes et citoyens. Tout cela avec une hausse considérable des coûts dans plusieurs secteurs. En diminuant les sommes prévues au PQI (Plan québécois des infrastructures) pour les infrastructures municipales, on va clairement dans la mauvaise direction», indique le président de l’UMQ et maire de Gaspé, Daniel Côté.