Quand nos agriculteurs se mettent à l’espagnol

AGRICULTURE. En raison de la pénurie de main-d’œuvre jumelée avec un travail exigeant snobé par plusieurs Québécois, le nombre de travailleurs agricoles étrangers a doublé depuis cinq ans en Mauricie.

À ce jour, le Centre d’emploi agricole de la Mauricie en dénombre plus de 300 dans les fermes de la région. Ils proviennent parfois des Antilles, mais majoritairement du Mexique et du Guatemala. Le phénomène est devenu si important que l’UPA offre ce printemps à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, sur la Rive-Sud, une formation de 36 heures destinée à apprendre les rudiments de la langue espagnole.

«C’est presque absolument nécessaire afin de pouvoir donner des explications sur le travail à faire», indique Denis Roy, consultant en immigration pour la Fédération de l’UPA. Plusieurs producteurs maraîchers, qui utilisent cette main-d’œuvre depuis plus de 20 ans, sont carrément bilingues ajoute M. Roy.

Hola!

À Saint-Tite, la Ferme Pittet recrute des ouvriers étrangers depuis 2012 déjà. En ce printemps enneigé, ils sont quatre Guatémaltèques et un Mexicain à habiter une maison juste à côté de l’étable. «Ils sont irremplaçables», lance Claire Désaulniers qui gère la ferme avec son conjoint Alphonse Pittet et leur fils Jérémie.

Parce qu’elle ne voulait pas se contenter de paires de bras et trouvait important que ces expatriés puissent socialiser avec leurs hôtes, l’agricultrice s’est offert en 2011 les services d’une professeure privée pour pouvoir converser en espagnol avec ses employés. Durant trois ans, à raison d’une dizaine de cours par année, Claire Désaulniers complétait consciencieusement ses devoirs. «Cela a donné une plus-value à mon travail. Ça m’a permis de m’épanouir. Dans ma tête, il était impensable de recevoir des travailleurs étrangers sans pouvoir parler leur langue.» Son conjoint et son fils s’y sont mis également même si elle demeure celle qui fait le lien au quotidien.

Pour Claire Désaulniers, travailler dans une ferme laitière requiert des tâches plus complexes que de recueillir des légumes dans un champ par exemple. «Les méthodes de traites, comment s’occuper des veaux. Il faut l’expliquer et pour y arriver, il faut parler leur langue.»

Elle constate qu’au-delà de la langue, les travailleurs étrangers sont très visuels. «C’est comme un moyen de défense parce qu’ils ne connaissent pas notre langue. Ils apprennent beaucoup en observant et quand c’est acquis, c’est toujours exécuté à la perfection. »

À Saint-Tite, ces ouvriers sont maintenant connus de presque tout le monde. Jesus, qui est revenu du Mexique il y a quelques semaines, en est à son 6e séjour chez la famille Pittet. «Quand on nous croise à l’épicerie, il y en a toujours un qui nous envoient un Holà! avec le sourire.»

Patrick Armstrong, de la Ferme Paky, en compagnie de Francisco et Alexander, deux Guatémaltèques.

Google Traduction à la rescousse

À Hérouxville, la Ferme Paky a recruté deux Guatémaltèques l’automne dernier pour voir aux opérations de la porcherie. Son propriétaire Patrick Armstrong s’était préparé en suivant un cours d’espagnol d’une dizaine d’heures à Shawinigan. «Ce qui est difficile, c’est d’expliquer les petits détails. Dans ces occasions-là, j’utilise Google Traduction.»

Se disant totalement satisfait de ses recrues – «C’est plus facile à gérer que des Québécois. Ils viennent ici pour travailler. Je m’amuse à dire que c’est toujours lundi pour eux autres.» – il attend bientôt un 3e Guatémaltèque qui parle… français. «Il a travaillé durant huit ans aux serres Savoura et là, il voulait changer de milieu de travail. Ça va m’aider à mieux communiquer avec les deux autres pis en même temps, ça va me permettre d’améliorer mon espagnol», termine-t-il.

En chiffres

  • 15 000 travailleurs étrangers au Québec en 2018
  • 800 employeurs en 2016 / 1200 employeurs en 2018