Ani Müller: portrait d’une artiste engagée
L’artiste peintre Ani Müller a élu domicile en Mauricie il y a un peu plus d’un an. Elle est devenue propriétaire d’une maison ancestrale à Batiscan où elle a installé son atelier. Sa dernière exposition, « Je ne me souviens plus » est présentée au Moulin seigneurial de Pointe-du-Lac jusqu’au 28 septembre.
Ani Müller s’est inspirée d’histoire et de patrimoine pour créer des œuvres qui rendent hommage à des poètes oubliés du Québec. Comme un clin d’œil à sa nouvelle communauté d’adoption mauricienne, elle a voulu mettre l’emphase sur un matériau en particulier pour cette exposition: le papier.
« Ce sont surtout des grands formats de papier. J’ai visé le papier parce que ça a un gros lien avec Trois-Rivières et son histoire. Et la poésie, ça peut nous amener à voler un peu dans notre esprit. Comme la musique classique, ça nous amène à voler puis à revenir. »
Pour sa plus récente exposition, l’artiste est sortie de sa zone de confort. La démarche avec laquelle elle a élaboré ses œuvres se démarque de ses façons de faire.
« J’ai l’habitude de prendre des abstraits comme fonds de toiles. Là, j’ai décidé de décaler tout ça, je les mets sur trois phases, la dernière phase étant l’oubli de l’écrit. On dit que les écrits restent mais c’est encore drôle. Plus on avance dans la poésie, plus on l’efface, plus on l’oublie. Si on regarde les poèmes, j’accumule de l’eau dedans donc l’acrylique devient de plus en plus liquide et disparait dans l’eau. J’ai pris volontairement du papier fragile. S’il se chiffonne, s’il se fripe c’est la même chose que nous. C’est un parallèle avec le vieillissement. »
L’exposition aborde les thèmes de la fragilité, de l’imperfection et des oublis.
« Mon exposition parle de patrimoine, de trous de mémoire et d’oublis. Ce sont des thèmes qui me suivent depuis longtemps parce que je me suis toujours sentie imparfaite. La société, elle l’est aussi. On oublie l’essence de Trois-Rivières: les pâtes et papiers, le bois, les arbres. La dernière œuvre de ma série, il y a des giclures, des taches. Le travail de l’eau dans le papier, c’est un trou de mémoire. La gestuelle représente la société en mouvement extrême. Je suis une artiste qui peint rapidement et je n’aime pas les choses parfaites. »
Elle s’implique auprès des jeunes et des aînés
Ani Müller ne s’en cache pas: elle a connu des problèmes d’apprentissage jeune à l’école. Elle s’est servie de cette faiblesse pour en faire une force.
« J’ai commencé à huit ans à peindre. Ç’a été une révélation. Quand je peins j’ai une libération de dire des choses. Je voyais dans les yeux des enfants ce qui arrivait quand je dessinais et que je faisais de la peinture. Je savais que j’avais une sorte de pouvoir d’émettre des messages. Très jeune j’ai su que je voulais être artiste peintre, je voulais être reconnue. »
Celle qui a éprouvé des difficultés au primaire et au secondaire se rend maintenant régulièrement dans les écoles pour y donner des conférences. Ani parle aux élèves de sa démarche et elle leur raconte comment elle s’est motivée à compléter ses études secondaires « aux adultes » avant de poursuivre son cheminement au collégial et à l’université.
« Je peux autant juste faire une conférence et parler aux jeunes ou faire une création sur les erreurs. Je pars d’une photo d’eux, je leur montre ma technique comment décaler l’image. Je les fais trouver dans leurs erreurs quelque chose de créatif et d’amusant. J’amène toujours des toiles et je leur explique la signification, pourquoi le visage est fragmenté en deux, c’est philosophique et c’est symbolique aussi. »
Il n’y a pas que les enfants qui peuvent ouvrir leur esprit grâce à l’art. Ani Müller donne également des ateliers destinés aux personnes âgées.
« J’enseigne les arts plastiques auprès des personnes en perte d’autonomie dans les CHSLD. C’est comme une intervention en arts. J’ai fait beaucoup de cours avec des personnes qui vivent avec la maladie d’Alzheimer pour qui c’est vraiment le moment présent ou passé. Ça m’a amené à une réflexion sur comment le monde est fragile, pas juste moi. »
Une Batiscanaise engagée
Pour cette femme qui a l’habitude de s’engager dans sa communauté, quitter la région de Lanaudière pour s’établir à Batiscan avait pour but de rebrasser ses idées et de faire rayonner son travail ailleurs.
« Je suis venue en Mauricie parce que je voulais évoluer dans ma carrière. Ce n’est pas en restant au même stade tout le temps qu’on peut se faire connaître encore plus. »
Elle n’a pas tardé à trouver un projet pour s’impliquer dans sa nouvelle terre d’adoption. Lorsqu’elle a entendu parler de la situation qui prévalait à la plage de Batiscan, elle a voulu faire partie de l’association citoyenne qui a organisé la venue du directeur général de la Fondation Rivières, André Bélanger. Plus d’une centaine de citoyens sont venus exprimer leur mécontentement dans le cadre d’une activité où elle a peint une toile.
« L’éveil des citoyens est arrivé cet été. On ne voulait pas dire manifestation, il y a une connotation négative, j’ai dit: on va faire une performance artistique. J’ai fait une toile pour dire que la grève, c’est public, il ne faut pas l’oublier. On a une certaine difficulté à Batiscan, on veut que ça change en étant positif. Ce que je vois c’est la grande solidarité de ce village-là où je viens de déménager. Je suis contente de ces gens-là. On s’est connus très rapidement à cause de cet événement-là. »
La prochaine année sera chargée pour Ani Müller qui planifie déjà une prochaine exposition en Europe. Avec deux autres artistes, elle proposera une exposition ayant pour thème l’influence des couleurs sur le cerveau à Vienne en mai 2024. D’ici là, elle présentera son travail à quelques reprises dans la région de Montréal.
Entre-temps, il est possible de voir ses œuvres jusqu’au 28 septembre au Moulin seigneurial de Pointe-du-Lac, un lieu qui l’a tout de suite séduite.
« Ici sur le bord du fleuve, la lumière est incroyable. Il y a beaucoup de monde qui vont venir voir l’exposition qui ne sont jamais venus ici. Ça va me faire plaisir de leur faire découvrir un lieu patrimonial, un lieu où on peut voir le mouvement du fleuve avec la lumière. »