Quand René Beaudoin devient Baptiste Durand

SAINTE-GENEVIÈVE-DE-BATISCAN. Depuis bientôt 40 ans, René Beaudoin se glisse chaque été dans la peau de Baptiste Durand, un fondeur de cuillères des années 1720. Il parcourt ainsi les quatre coins du Québec, d’un événement historique à l’autre, pour faire découvrir ce curieux métier.

Historien bien connu dans la région, M. Beaudoin a créé le personnage de Baptiste Durand en 1982. «J’avais 22 ans et j’étais guide aux Forges-du-Saint-Maurice, raconte-t-il. J’avais deux tâches: faire des visites guidées et faire des ateliers d’interprétation du patrimoine sur un élément de la vie quotidienne.»

«Comme j’étais passionné des contes et légendes, j’avais décidé de faire les contes et légendes des Forges-du-Saint-Maurice, poursuit-il. Mais il fallait que je trouve dans la peau de quel personnage j’allais faire ça. Je me suis mis à chercher et j’ai trouvé le métier de fondeur de cuillères.»

Curieux, M. Beaudoin s’est renseigné sur le sujet et a découvert qu’il existait des moules à cuillères dans un musée de Québec. «Je m’y suis rendu pour les emprunter pour les faire reproduire, dit-il. Et c’est comme ça que j’ai commencé à faire des cuillères, à l’été 1982, avec une reproduction d’un moule.»

Peut-être est-ce la chance du débutant, mais il a réussi du premier coup à confectionner sa toute première cuillère. «Après ça, ça m’a pris un mois avant d’être capable d’en faire une autre, précise-t-il en riant. C’est difficile au début parce qu’il faut arriver à comprendre quelle température il faut pour l’étain et quelle température il faut pour le moule. C’est par essais-erreurs qu’on y parvient.»

Et comme il n’y a presque rien d’écrit sur le sujet dans les livres, M. Beaudoin a appris, par essais et erreurs, comment bien faire chauffer ses moules et l’étain qu’il utilise pour fabriquer ses cuillères. «Jamais je n’aurais imaginé que, 38 ans plus tard, je serais encore fondeur de cuillères!»

Aux quatre coins du Québec

Le bouche à oreille a fait son effet, si bien que M. Beaudoin s’est promené de Chicoutimi à Saint-Georges-de-Beauce jusqu’à Sherbrooke, Valleyfield et Saint-Jérôme. Invité par des professeurs, il a fait plusieurs démonstrations dans des écoles. Et graduellement, les contes et légendes ont laissé place au métier de fondeur de cuillères.

«Ce que j’aime le plus dans ce métier, ce sont les rencontres que je fais, confie-t-il. Quand je fais mes animations, je transmets ma passion pour l’histoire. Sur le plan humain, c’est toujours très agréable parce qu’on a du plaisir ensemble.»

«L’autre élément que j’aime, c’est le côté théâtral de jouer un personnage et de créer une espèce d’expérience anachronique, renchérit-il. Les gens sont là, en 2019, me posent des questions et je leur réponds en 1725. Je leur demande dans quelle seigneurie ils sont. Je joue dans cet univers de reconstitution. J’essaie de les transporter dans une autre époque et de leur transmettre ainsi des informations en s’amusant.»

En 38 ans, M. Beaudoin a rencontré à peine une dizaine de personnes qui connaissaient le métier de fondeur de cuillères.

«C’est vraiment une page d’histoire qui a été oubliée, fait-il remarquer. C’était un gagne-petit, le fondeur de cuillères. C’était souvent quelqu’un qui n’était pas assez fort, malade ou incapable de travailler sur une terre. Il se promenait de maison en maison pour offrir ses services. Il a été associé par un certain nombre de personnes à un quêteux. C’était un métier ambulant, donc il lui arrivait de manger et de dormir chez les gens.»

Aujourd’hui, c’est avec moule à cuillères authentique datant du Régime français que M. Beaudoin fait ses présentations, de mai à septembre. Il a même avec lui un poêle des Forges-du-Saint-Maurice. Il participe à plusieurs événements annuellement, allant de 10 à 25. Son père, dans son personnage de creuseur d’auge, l’a même accompagné pendant bon nombre d’années.

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Les étapes pour faire une cuillère

Pour fabriquer une cuillère, il faut réchauffer le moule sur le poêle. Ensuite, il faire chauffer l’étain en s’assurant que le moule ne soit jamais plus chaud que l’étain. «Je coince ensuite mon moule entre mes genoux. Je prends mon étain qui est à 400 degrés et je le verse dans le moule par le trou, explique M. Beaudoin. Il faut que je coule 4 à 5 fois avant que le moule soit prêt pour faire une belle cuillère. C’est un peu comme faire des crêpes. La première n’est jamais belle.» Ensuite, la cuillère refroidit pendant quelques minutes. Avec une pince coupante, on enlève les bavures tout autour, on la lime et, finalement, on la polit.